Images des trous noirs : de la théorie à la première observation
Le 3 Octobre 2019, Le Télescope avait le plaisir de recevoir Eric Gourgoulhon, spécialiste des trous noirs, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire univers et théorie (LUTH), observatoire de Paris pour une conférence passionnante.
De 21h à 23 heures, Mr Gourgoulhon nous a présenté l’état actuel de nos connaissances sur les trous noirs et répondu à nos nombreuses questions. La résumé présenté ici n’est peut être pas exempt d’erreurs, l’internaute interessé pourra se référer au site personnel de notre conférencier (https://luth.obspm.fr/~luthier/gourgoulhon/) qui pour le plus grand intérêt de tous met à disposition un grand nombre d’informations.
Les images ou documents en lien sont issus pour la plupart de la présentation qui nous a été faite.
Histoire des trous noirs
Au XVIII éme siècle, avec l’avènement des lois de Newton et de la gravitation, John Mitchell (1783), Pierre Simon de Laplace (1796) s’interrogent sur l’existence d’étoiles sombres où la vitesse de libération serait supérieure à celle de la lumière en raison de leur grande masse.
On voit que la vitesse de libération au sens Newtonien ne dépend que de la masse de l’objet (via sa densité dans la formule ci-après).
Mais en physique Newtonienne, rien n’interdit de dépasser la vitesse de la lumière.
Et si l’énergie du champ gravitationnel est de l’ordre de l’énergie de masse (Mc2), il nous faut une théorie relativiste de la gravitation.
De plus si la lumière est bien une onde (Maxwell XIXème), comment celle-ci peut-elle être soumise à une « force » de gravité ?
Le concept newtonien de trou noir pose donc problème.
Avec l’avènement de la relativité générale (Einstein 1915) des théoriciens vont proposer des solutions au problème des trous noirs.
La relativité décrivant la gravitation comme une courbure de l’espace-temps, elle fournit une solution satisfaisante où la trajectoire de la lumière est courbée.
Karl Schwarzschild (1916) fournit la première solution exacte de l’́équation d’Einstein pour un trou noir statique et à symétrie sphérique
C’est la fameuse singularité de Schwarzschild : r= 0 et r=Rs:= 2GM/c2
Ou il décrit le champ gravitationnel produit par un corps à symétrie sphérique dans le vide.
Une telle sphère de Schwarzschild, est définie par le fameux « rayon de Schwarzschild », ou horizon des événements, région de laquelle même la lumière ne peut ressortir.
Roy Kerr, en 1963 généralise la solution de Schwarzschild pour un corps en rotation …. Car dans la nature, tout tourne, y compris les trous noirs.
Et enfin, le théorème de la calvitie, (No hair theorem) stipule que tout trou noir de Kerr est décrit par seulement 3 paramètres, la masse M, la charge électrique Q (qui est très vraisemblablement toujours nulle) et son moment cinétique (J). (Travaux de Iakov B. Zeldovitch et Igor D. Novikov, Werner Israel, Brandon Carter et Stephen Hawking.)
Cet aphorisme « Black holes have no hair », a été énoncé par le théoricien John Wheeler, exprimant ainsi qu’un trou noir est un objet extrêmement simple décrit par 3 paramètres seulement.
Fort de ces outils, il était alors possible de modéliser la trajectoire de la lumière dans dans un champ gravitationnel important dans le cadre de la relativité.
L’observation de la position des étoiles lors de l’éclipse de 1919 par Sir A. Eddington permit de valider la relativité et Einstein devint mondialement connu à cette époque.
Les anneaux d’Einstein ou « mirages gravitationnels » observés par les grands observatoires contemporains, illustrent parfaitement cette déformation de l’espace-temps aux abords d’une masse importante (amas de galaxie) où les galaxies d’arrière-plan sont vues déformées sous la forme d’un arc de lumière.
Hilbert (1917) calcule ainsi la trajectoire de la lumière aux abords d’un trou noir et « l’ombre » d’un trou noir de Schwarzschild.
Bardeen (1972) calcule enfin la forme de l’ombre et la trajectoire de la lumière pour un trou noir de Kerr (trou noir en rotation).
Jean Pierre Luminet (1979) réalise la première image théorique du disque d’accrétion d’un trou de Schwarzschild.
Jean Alain Marck (Département d’Astrophysique Relativiste et de Cosmologie, Observatoire de Paris) réalise par le calcul le premier film (1991 – 1996) du survol d’un trou noir.
Alain Riazuelo (A partir de 2007 – Institut d’astrophysique de Paris) réalise plusieurs simulations montrant l’étonnante déformation de la lumière – et de l’image perçue – causée par un trou noir devant un fond étoilé ou encore l’approche de l’horizon des évènements avec des images récursives de l’univers.
Et si vous souhaitez vous-même faire des simulations de trou noir….
Le code Gyoto (mis au point par F. H. Vincent, T. Paumard, E. Gourgoulhon & G. Perrin) est à disposition de la communauté scientifique et du public avisé : https://gyoto.obspm.fr
La simulation la plus connue du grand public reste bien sur celle du trou noir Gargantua du film Interstellar .. (Oliver James, Eugénie von Tunzelmann, Paul Franklin &Kip S Thorne (2015) : the Interstellar black hole) ..On ne la remet pas ici, tout le monde l’a déjà vu. Elle contient quelques imperfections par choix du réalisateur.
Des simulations aux observations.
On sait qu’il existe plusieurs types de trous noirs. Stellaires de quelques dizaines de masse solaire, à supermassifs de quelques millions à milliards de masse stellaires, en passant par les trous noirs de taille intermédiaire, de quelques milliers de masse solaire. Selon leur masse, la taille de leur horizon et de leur disque d’accrétion varie. Mais cela reste des objets très petits, et leur observation directe par un télescope nécessite une résolution angulaire phénoménale. La résolution angulaire d’un télescope est pour rappel égale à la longueur d’onde d’observation divisée par le diamètre de l’instrument. Un des plus grands trous noirs connus est par exemple M87* dans la galaxie géante M87. Par des mesures indirectes (mouvements des étoiles) on estime la masse de M87* à 6 milliards de masses solaires. Ce qui permet d’évaluer le rayon à 120 unités astronomiques (de l’ordre de 4 fois l’orbite de Neptune). Soit une taille angulaire de 38 micro secondes d’arc. 38 Millionièmes de secondes d’arc à la distance de M87 ! Pour le distinguer il nous faut donc un télescope qui en observant à 1mm de longueur d’onde (radio millimétrique) aurait une taille de 10 000 km ! Le trou noir central de notre voie lactée, SgrA*, plus petit (4 millions de masse solaire) mais bien moins éloigné que M87* est lui aussi accessible à un télescope radio de 10000 km. Un télescope optique, observant de plus courtes longueurs d’ondes aurait une taille nécessaire bien inférieure pour atteindre cette résolution. En revanche, on ne sait pas fabriquer un tel instrument qui nécessiterait quelques kilomètres de diamètre. Impossible également de construire un radiotélescope de 10 000km, en revanche en utilisant la technologie d’interférométrie, on sait combiner, en radio (et non en optique) le signal de plusieurs instruments et atteindre une résolution de l’ordre de la uas. C’est l’objet de la collaboration internationale Event horizon télescope, qui combine les signaux de 8 radio télescopes répartis autour du monde, permettant ainsi des lignes de base de milliers de km. Les données doivent être obtenues simultanément par tous les instruments et celles-ci corrélées à l’aide d’horloges atomiques. L’image est ensuite calculée par 4 différents algorithmes basés sur des transformées de Fourier et des statistiques.
C’est ainsi qu’après 2 campagnes d’observations entre 2017 et 2018 que la première « image » d’un trou noir, celui de M87* a été révélée le 10 avril 2019.
Les données de SgrA* n’ont à ce jour pas donné de résultats.Les variations du signal dans le temps etant plus rapide pour cet astre, la reconstruction de l’image en interférométrie n’a pour l’instant pas pu être complétée.
Autres moyens observationnels.
L’instrument Gravity installé sur le VLTI est un interféromètre optique de deuxième génération.Son pouvoir de résolution a permis par exemple de caractériser l’orbite de l’étoile nommée S2 autour du trou noir de la voie lactée SgrA*, démontrant ainsi la présence du trou noir et confirmant encore une fois la relativité générale.
Les détecteurs d’ondes gravitationnelles, LIGO et VIRGO ont mis en évidence en 2015 la collision (colapse) de deux trous noirs, seul phénomène pouvant expliquer les données obtenues.Depuis les campagnes d’observations LIGO/VIRGO ont produit une trentaine de résultats, essentiellement des fusions de trous noirs stellaires.
Perspectives et conclusion
L’image de M87* est historique mais peu résolue et il reste à obtenir celle de SgrA*.
Il faut améliorer la précision de l’EHT avec l’ajout de radiotélescopes (NOEMA de l’IRAM, Groenland Télescope) puis dans un futur plus lointain le VLBI avec des antennes dans l’espace.
L’objectif sera alors de mesurer le spin d’un trou noir et de tester / valider des modèles de trous noir dans le cadre de la relativité générale.
BONUS
La présentation donnée au club par Eric Gourgoulhon est disponible sur son site. Vous y trouverez d’autres présentations, vidéo, cours, liens et ressources dans le domaine des trous noirs et de la rélativité.